J’ai quitté l’Algérie en 2008 pour faire des études en France. À cause du non-renouvellement de mon permis de séjour, je n’ai pas pu continuer mes études, c’est pourquoi je suis venu à Genève pour faire une formation similaire, un master. Mais le problème du permis de séjour s’est à nouveau posé.
Au début, j’avais un permis d’étudiant, sauf qu’entre temps, une décision politique qui prévoyait de réduire le nombre de permis de séjour accordés aux étudiant.e.s, m’a fait perdre mon droit au séjour. J’ai été écarté de mon école et j’ai perdu mon emploi. J’ai commencé à chercher une école équivalente en Europe qui était tout autant réputé et c’est comme ça que le choix de Genève s’est imposé.
Après avoir réussi le concours d’admission à Genève et validé mon inscription, j’ai commencé mes études. Un juriste m’avait recommandé de faire une demande de permis, sachant que le pire était de recevoir un refus. J’ai donc fait la demande à Genève, qui m’ont donné leurs accords pour un permis d’une année. Sauf qu’il faut une deuxième approbation pour valider le permis, celle du SEM (Secrétariat d’État au Migrations) qui a refusé de me le délivrer. À la suite du refus, j’ai fait un recours et il s’en est suivi toute une procédure.
Ce qui est profondément injuste c’est que lorsque je me rendais au consulat d’Algérie pour essayer d’obtenir un passeport, il y avait des ressortissant.e.s suisses qui obtenaient le visa pour l’Algérie en 30 min avec trois photos et 60 francs.
Pour un.e étudiant.e algérien.ne qui voudrait venir en Suisse, il faut avoir sur son compte en Algérie 30’000 francs pour pouvoir faire une demande de visa, alors que le niveau de vie est complètement différent. Le rapport de domination n’a pas du tout changé même si l’Algérie est indépendante depuis septante ans. Il y a des règles extrêmement strictes qui y sont imposées, tel que de ne pas délivrer de passeports aux ressortissant.e.s algérien.ne établis ici et qui n’ont pas de permis. Donc je n’ai pas le droit d’avoir un passeport si je n’ai pas un permis. En étant ici, je suis une sorte d’apatride, sans que ce soit réellement le cas. Mon passeport ayant expiré, je ne peux pas le renouveler. Les autorités algériennes reconnaissent que je suis un Algérien, mais ne peuvent me délivrer aucun papier.
Comment tu vis cette situation depuis six ans ?
Je vis tout le temps dans la peur que cela se termine de façon dramatique. Si je me fais arrêter par la police et si je me fais renvoyer, ce sera vraiment un échec. Je me dis qu’il y a d’autres étudiant.es qui viennent d’ailleurs et qui elles/eux, ont pu réussir, ont pu avoir un parcours différent du mien. Donc je culpabilise, je me dis que c’est peut-être que je n’ai pas été assez bon. Que je n’ai pas fait les bons choix. Je culpabilise beaucoup même si je sais que la Suisse est l’un des pays les plus restrictifs en termes d’immigration. Si ça avait été un autre pays, un peu plus tolérant, j’aurais pu avoir un autre parcours peut-être.
Par exemple, si je dois aller hors de Genève, j’ai toujours la peur au ventre. Même dans le train, j’ai toujours mon titre de transport. Mais même avec un titre de transport, j’ai toujours très peur qu’il y ait des contrôles d’identité. Il suffit d’un contrôle pour que je me retrouve à Champ-Dollon (prison à Genève) et que je me fasse expulser. Par ce que j’ai eu un avis d’expulsion, en cas de contrôle, ce sera la détention administrative le temps de trouver un charter ou que j’accepte de monter dans un avion volontairement. Un charter c’est un vol spécial où ils mettent des migrant.e.s pour les déporter en groupe de dix ou vingt personnes et les remettent aux autorités du pays d’origine. Ils mettent les personnes en détention administrative le temps de faire le nécessaire : avoir les passeports de tout le monde, organiser les vols, obtenir les « laissez-passer » comme ils disent. Parce que je ne peux pas avoir de passeport si je veux retourner chez moi.
C’est une source d’inquiétude vraiment énorme, mais encore plus que le fait de retourner dans mon pays c’est ma santé qui m’inquiète. Ma plus grande peur, c’est de finir à la rue et de ne plus pouvoir payer mon loyer, de ne plus pouvoir rester digne et ne pas avoir accès aux soins. Cette peur a un impact direct qui crée un cercle vicieux. J’ai une maladie chronique qui demande d’avoir une hygiène de vie avec le moins de stress possible. Mais sans accès aux soins, forcément on stresse et ça a un impact sur la santé. Donc c’est un cercle vicieux.
Tu regrettes d’être venu ?
Je ne regrette pas d’être venu, dans le sens où j’ai obtenu un diplôme, j’ai rencontré beaucoup de gens, des amis, je me suis fait un semblant de vie ici. Mais si l’école que j’ai faite ici existait ailleurs, la Suisse aurait été le dernier pays auquel j’aurais pensé. C’était vraiment l’accès à la formation qui m’intéressait en premier lieu. Mais le truc auquel je ne m’attendais pas, c’est que ma santé se dégrade. Du coup, si tu me demandais si c’était à refaire, oui, ça valait quand même le coup parce que je voulais faire un master et j’ai pu le faire. Même si même si j’ai payé un lourd tribut, que j’ai perdu beaucoup de temps et que je me suis fragilisé avec le temps.
Pourquoi tu dis un semblant de vie ?
Parce que j’ai toujours le sentiment de ne pas être totalement normal. Il y a beaucoup de choses que les autres font que je ne fais pas. Et puis pareil parce que je n’ai pas accès aux soins, j’ai toujours peur lors de mes déplacements, je ne peux pas voyager à l’étranger. Donc oui, c’est un semblant de vie. Et puis, c’est surtout le fait de ne pas savoir de quoi le lendemain est fait, c’est-à-dire si ça se trouve, on va finir cette interview, je traverse la rue et je tombe sur une voiture de police. Et dans une semaine, je me retrouve chez moi. C’est pour ça que je dis que c’est un semblant de vie, parce que c’est fragile et éphémère. Si je me fais déporter demain, il n’y a rien qui reste de moi ici. En fait, les gens vont se dire « ah oui le pauvre, c’est emmerdant ». Mais des expulsions, il y en a beaucoup et je serai un expulsé parmi d’autres.
Entretien réalisé en 2020 à Genève.