Vraiment, ce n’est pas un salaire pour vivre ici…

T’as pas de permis, t’as pas de travail…

T’as pas de permis, t’as pas de travail. T’as pas de travail, t’as pas d’argent. T’as pas d’argent, t’as pas de logement. T’as pas d’assurance maladie, t’as pas… t’as rien ! C’est pas une vie. Franchement, c’est pas une vie. Voilà. Du coup, Papyrus, il faut que tu prouves que tu gagnes de l’argent, que tu as un employeur qui prouve que ça fait des années que tu travailles avec lui, tac tac… et moi, je travaille pas, tu vois ?

J’ai toujours la peur au ventre…

Par exemple, si je dois aller hors de Genève, j’ai toujours la peur au ventre. Même dans le train, j’ai toujours mon titre de transport. Mais même avec un titre de transport, j’ai toujours très peur qu’il y ait des contrôles d’identité. Il suffit d’un contrôle pour que je me retrouve à Champ-Dollon (prison à Genève) et que je me fasse expulser. Par ce que j’ai eu un avis d’expulsion, en cas de contrôle, ce sera la détention administrative le temps de trouver un charter ou que j’accepte de monter dans un avion volontairement. Un charter c’est un vol spécial où ils mettent des migrant.e.s pour les déporter en groupe de dix ou vingt personnes et les remettent aux autorités du pays d’origine.  Ils mettent les personnes en détention administrative le temps de faire le nécessaire : avoir les passeports de tout le monde, organiser les vols, obtenir les « laissez-passer » comme ils disent. Parce que je ne peux pas avoir de passeport si je veux retourner chez moi.

C’est une source d’inquiétude vraiment énorme, mais encore plus que le fait de retourner dans mon pays c’est ma santé qui m’inquiète. Ma plus grande peur, c’est de finir à la rue et de ne plus pouvoir payer mon loyer, de ne plus pouvoir rester digne et ne pas avoir accès aux soins. Cette peur a un impact direct qui crée un cercle vicieux. J’ai une maladie chronique qui demande d’avoir une hygiène de vie avec le moins de stress possible. Mais sans accès aux soins, forcément on stresse et ça a un impact sur la santé. Donc c’est un cercle vicieux.

J’ai quitté l’Algérie en 2008 …

J’ai quitté l’Algérie en 2008 pour faire des études en France. Au début, j’avais un permis d’étudiant, sauf qu’entre temps, une décision politique qui prévoyait de réduire le nombre de permis de séjour accordés aux étudiant.e.s, m’a fait perdre mon droit au séjour. J’ai été écarté de mon école et j’ai perdu mon emploi. J’ai commencé à chercher une école équivalente en Europe qui était tout autant réputé et c’est comme ça que le choix de Genève s’est imposé.

Après avoir réussi le concours d’admission à Genève et validé mon inscription, j’ai commencé mes études. Un juriste m’avait recommandé de faire une demande de permis, sachant que le pire était de recevoir un refus. J’ai donc fait la demande à Genève, qui m’ont donné leurs accords pour un permis d’une année. Sauf qu’il faut une deuxième approbation pour valider le permis, celle du SEM (Secrétariat d’État au Migrations) qui a refusé de me le délivrer. À la suite du refus, j’ai fait un recours et il s’en est suivi toute une procédure.

Je vis tout le temps dans la peur que cela se termine de façon dramatique. Si je me fais arrêter par la police et si je me fais renvoyer, ce sera vraiment un échec. Je me dis qu’il y a d’autres étudiant.es qui viennent d’ailleurs et qui elles/eux, ont pu réussir, ont pu avoir un parcours différent du mien. Donc je culpabilise, je me dis que c’est peut-être que je n’ai pas été assez bon. Que je n’ai pas fait les bons choix. Je culpabilise beaucoup même si je sais que la Suisse est l’un des pays les plus restrictifs en termes d’immigration. Si ça avait été un autre pays, un peu plus tolérant, j’aurais pu avoir un autre parcours peut-être. Mais si l’école que j’ai faite ici existait ailleurs, la Suisse aurait été le dernier pays auquel j’aurais pensé. C’était vraiment l’accès à la formation qui m’intéressait en premier lieu.

 

Il faut toujours remplir des critères pour tout…

Il faut toujours remplir des critères pour tout. Toujours être en phase de test au travail, sans sécurité, donc aucune stabilité — ni économique, ni morale, ni émotionnelle — dans tous les domaines. Tu ne peux pas te projeter sur le long terme, car tu ne sais pas si demain tu devras quitter la Suisse. Je ne peux pas avoir de maison, je ne peux pas prendre de choses sur le long terme non plus. Ne pas avoir le droit de vivre parce que tu n’as pas de permis, ou alors vivre de manière invisible dans la société.
Par exemple, il te faut une carte de crédit pour plein de choses, comme inscrire mon fils à des activités. Le droit de tomber malade, de pouvoir te rétablir si tu es malade, tu ne l’as pas, car cela devient une journée perdue, non payée — donc un salaire encore plus petit — et on ne peut pas se le permettre.